Vie quotidienne

Créer à travers la photographie

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Extrait du numéro 165 de la revue Entendre : La créativité : outil d’apprentissage et de développement

Claudia Larouche

Une belle rencontre

Dynamique et souriante, Marie-Andrée Boivin fait de la photo depuis qu’elle a douze ans. Elle est tombée en amour avec ce médium en regardant des photographies dans le bureau de son audiologiste ! Ce dernier lui avait alors raconté ses nombreux voyages et Marie-Andrée était ressortie du bureau fascinée. « J’ai eu un déclic et cela m’est apparu comme une nouvelle voie, celle qui est devenue la mienne afin de poursuivre ma démarche artistique. C’est une voie et un médium qui me conviennent tout à fait. », raconte la jeune femme de 24 ans.

Étudiante en littérature, concentration études féministes, à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Marie-Andrée est devenue sourde à l’âge de 3 ans et demi à la suite d’une méningite et elle fut le premier enfant au Canada à recevoir un implant cochléaire à l’Hôtel-Dieu de Québec. Comme tous les enfants, elle aimait créer pour le plaisir et ses parents l’encourageaient beaucoup dans cette voie.

Après ce coup de foudre à 12 ans, elle s’est plongée dans les ouvrages de photographie. Ce fut une révélation qui deviendra de plus en plus fondée au fil du temps. Un an plus tard, les premières photos de Marie-Andrée ont été prises avec un appareil conventionnel acheté selon ses propres moyens. L’adolescente n’a pas attendu longtemps avant de se procurer un appareil manuel et des négatifs en noir et blanc. Dès l’âge de 15 ans, elle apprend le développement des photos de façon autodidacte. « La photographie s’est trouvée à devenir le ricochet de ma surdité puisqu’elle me permettait de concrétiser positivement ma vie de personne privée d’un sens. La grande utilisation de la vue pouvait démontrer la particularité de ce regard peut-être plus développé que chez les entendants. », explique Marie-Andrée.

Une nouvelle passion

Après ses études secondaires, elle commence un DEC en Arts plastiques à Québec, car il n’y avait pas de formation supérieure dans le domaine de la photo dans cette ville. Elle poursuit en même temps sa démarche photographique par elle-même, car elle tenait à apprendre les rudiments techniques. « Je voulais avoir cette fierté, c’était important pour moi. », souligne-t-elle. Les étudiants de son programme l’encourageaient à poursuivre en photographie, sa confiance s’est solidifiée et Marie-Andrée quitte le Québec à destination du vieux continent pour un an.

Ce voyage est un moment fondamental dans la recherche photographique de Marie-Andrée. À Lausanne, on approche la jeune femme pour faire une exposition. Ensuite, elle quitte la Suisse pour se rendre en Espagne. Au pays des taureaux, Marie-Andrée a vécu un bouleversement : « C’est là que j’ai bâti ma vision de photographe grâce à la puissance de la lumière. Je possédais peu de moyens et ma seule activité était d’errer dans les rues de la ville avec pour seule occupation d’observer la force de la lumière, la façon dont elle transforme ce qui nous entoure et de capturer ces phénomènes. », se remémore-t-elle. À son retour, elle concrétise son désir d’apprendre la photographie commerciale au Cégep du Vieux-Montréal.

Un moyen d’être proche des gens

Ce médium lui donne l’occasion d’interpréter matériellement sa vision et de la transmettre. Lorsque les gens sont touchés, Marie-Andrée ressent un bien immense selon ses propres mots. Elle croit que l’art est un moyen de se rapprocher en tant qu’humains : « C’est une façon d’établir des ponts entre plusieurs sensibilités, relier une humanité parfois égarée et solitaire. Une personne qui est touchée par mon travail artistique tout comme par le portrait que j’ai fait d’elle, c’est un moyen d’être proche des gens. », affirme-t-elle.

Marie-Andrée se dit persuadée que la créativité apporte des bienfaits chez les enfants, les adolescents et même les adultes ! Dans le cas de la surdité, la communication et la langue sont touchées donc la créativité peut devenir un moyen d’expression fabuleux.

Un parcours avec des obstacles

Le financement demeure un problème toujours présent dans ce milieu. Étant donné que la photographie est facilement accessible et que travailler avec un professionnel coûte extrêmement cher, les photographes perdent souvent des contrats. Le matériel est loin d’être abordable donc la démarche artistique s’en trouve touchée. Marie-Andrée vit les conséquences de ce manque de contrats sans compter les obstacles reliés à sa surdité.

Pratiquer la photographie pour le plaisir est une chose, mais en faire une profession en est une autre. Le principal moyen de communication passe par le téléphone. Marie-Andrée espère qu’Internet pourra pallier de façon utile à ces inconvénients : « L’image que nous donnons au téléphone, en étant sourds, n’est pas efficace. », déplore-t-elle. De plus, lorsqu’une personne met ses préjugés de l’avant, Marie-Andrée doit tenter de la convaincre de ses compétences ou laisser tomber. Par contre, sa surdité lui procure des avantages non négligeables ! Les gens se souviennent plus facilement d’elle et, en rencontrant ses clients pendant des prises de vues, elle peut établir une communication directe

La volonté de réussir

Elle ne s’en laisse pas imposer, car elle a obtenu un contrat de deux mois l’été dernier à la Ville de Montréal. Marie-Andrée devait constituer un répertoire de photos de l’ensemble des 14 000 bâtiments de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal. Elle a été choisie au terme d’une entrevue : « J’étais fière d’obtenir cet emploi, car je craignais que mon handicap joue en ma défaveur lors de la sélection des candidats. », dévoile-t-elle.

Marie-Andrée a déjà quelques expositions à son actif et elle continue la pratique de la photographie commerciale. Elle aimerait peut-être enseigner cette technique afin de communiquer et d’échanger sur cette passion. En novembre, elle a présenté une exposition à la librairie-café Lubu.

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