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L’interprétation visuelle: deux têtes pour un chapeau

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Extrait du numéro 215 de la revue Entendre : L’avenir des jeunes, Études et emploi

Anne-Marie Parisot, Professeure titulaire, Département de linguistique, UQÀM

Darren Saunders, Étudiant de maitrise, Département de linguistique, UQÀM

Une étude menée en 2012 a mis en lumière que l’offre de services actuelle en interprétation visuelle ne suffit pas à répondre complètement aux besoins des utilisateurs. Quelque soit le secteur du domaine sociocommunautaire ou scolaire, ainsi que les secteurs priorisés tels que ceux de la santé, des services sociaux et de l’enseignement primaire/secondaire (Parisot et Villeneuve, 2013).

Rappelons qu’au Québec, le Ministère de l’éducation (pour les situations scolaires d’interprétation) et le Ministère de la santé et des services sociaux (pour les situations sociocommunautaires d’interprétation) régissent l’offre publique de services en interprétation visuelle. Hormis le problème de l’écart quantitatif entre l’offre de services et les besoins, cette étude a montré que la structure actuelle ne parvient pas à faire une utilisation adéquate des ressources humaines et matérielles. Ni à répondre aux besoins en fonction de la réalité de vie des usagers. Une liste de faits semble questionner l’à propos de cette organisation en deux fonctionnements distincts.  En effet, ainsi cette organisation est lourde, coûteuse et peu accessible aux usagers.

Les incohérences

Voici quelques exemples d’éléments qui rendent difficilement justifiable cette double structure de gestion :

  • Un individu sourd, enfant comme adulte, ne distingue pas ces deux secteurs (scolaire et social) d’activités dans sa vie quotidienne. Il est la même personne, qu’il soit à l’école, dans une activité sportive ou chez le médecin ;
  • Aucun des services actuels, ni scolaire ni sociocommunautaire, ne parvient à combler les besoins exprimés de spécialisation des usagers ;
  • La plupart des interprètes québécois (74 %) font à la fois de l’interprétation scolaire et sociocommunautaire.

Peut-on expliquer le manque d’accès à des interprètes par une pénurie de travailleurs? Apparemment non, car la moitié des interprètes québécois (51 %) ont exprimé avoir des disponibilités (Parisot et Villeneuve, 2013).

Le problème ne semble donc pas se trouver du côté de la disponibilité des ressources. Voyons du côté de l’organisation des services.

En effet, une organisation en deux secteurs pour les mêmes usagers et majoritairement les mêmes interprètes, signifie :

  • Différents systèmes d’accès ;
  • Des standards d’embauche différents ;
  • Des normes de compétence et d’éthiques différentes ;
  • Un dédoublement des budgets (gestion, locaux, personnel, etc.) ;
  • Etc.

N’oublions pas que le nombre d’usagers québécois des services d’interprétation visuelle au Québec est assez réduit : environ 4000. Ce chiffre inclut le scolaire et le sociocommunautaire.

L’argument du nombre ne peut donc pas justifier un partage de la gestion des services qui ne sert pas le quotidien des usagers.

La réalité de vie des usagers

Alors que l’usager n’a qu’un chapeau à combler, le système lui propose deux têtes. Il doit donc accommoder le système en alternance avec son chapeau unique. Il semblerait plus simple d’avoir à sa disposition un seul modèle de tête mais qui épouse adéquatement son chapeau. À titre d’exemple, pensons à la réalité des parents qui doivent naviguer, dans certaines régions, entre les interprètes des services scolaires pour l’enseignement en classe et les interprètes des services sociocommunautaires pour les activités parascolaires ou les rencontres de parents. Même enfant, même parents, même école, mais deux systèmes de gestion, deux types de démarches, etc.

Un autre exemple est celui de l’étudiant sourd qui accède à la maîtrise ou au doctorat. Si cet étudiant sourd, qui bénéficie des services d’un interprète scolaire, voit ce service adapté au cégep et au baccalauréat, il est probable que cet interprète scolaire ne soit plus tout à fait adéquat aux cycles supérieurs. En effet, l’enseignement, sous forme de séminaires tel que privilégiés aux cycles supérieurs, avec un nombre accru de présentations des étudiants dans des domaines de spécialité, nécessite une compétence d’interprètes de conférence.

Toutefois, l’interprétation de conférence est couverte par les Services régionaux d’interprétation, qui relèvent du secteur sociocommunautaire et non du secteur scolaire. L’étudiant sourd de maîtrise et de doctorat ne peut alors pas prendre en charge son besoin et contacter un service régional d’interprétation pour ses besoins d’interprétation de conférence. En effet, le domaine scolaire ne les prend pas en charge. S’il le fait, il devra payer de sa poche pour avoir un service adéquat à son besoin scolaire !

Le besoin de cet usager est parfaitement raisonnable et en adéquation avec les enseignements qu’il reçoit, mais il n’y a pas droit parce que, dans ce cas encore, les services d’adaptation nécessaires à la réussite scolaire sont gérés par deux têtes administratives séparées.

Notre questionnement

La question que nous soulevons, comme professeure et comme étudiant sourd de cycle supérieur, mais surtout comme usagers de services d’interprétation est celle-ci : Est-ce aux usagers de s’adapter à un système qui n’arrive pas à justifier sa bipolarité ou un tel système pourrait-il être simplifié pour mieux s’adapter aux besoins des usagers ?

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