Vivre avec la surdité

Les conseils des parents de l’AQEPA

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Extrait du numéro 218 de la revue Entendre « l’équilibre en famille »

Sarah Kirsch et Charles Gaucher, PhD. Université de Moncton

Les familles venant d’apprendre la surdité de leur enfant se retrouvent sous le choc et ne sont pas préparées à faire face à cette annonce. Nous avons demandé à des parents ayant déjà traversé ces étapes de donner des conseils à ces nouvelles familles pour les aider dans cette aventure.

Le but de cet article est de donner la parole à des parents qui ont traversé ces étapes. Et ainsi leur donner la possibilité de partager leurs conseils aux familles qui viennent d’apprendre la surdité de leur enfant afin de les aider à faire face à cette annonce. Les commentaires qui vont vous être présentés ont été recueillis lors d’entrevues issues de la recherche s’intéressant à l’expérience des parents ayant un enfant sourd, dirigée par Charles Gaucher, PhD, professeur à l’École de travail social de l’Université de Moncton. Lors de ces entrevues, nous avons  identifié 6 grandes catégories de conseils.

Nous vous présentons, pour chacune de ces catégories, un ou deux conseils donnés par un participant, tel quel, afin de rendre le propos le plus parlant possible pour les parents qui sont dans « le feu de l’action ».

Trouver un équilibre

Dans le processus de réadaptation, de nombreux rendez-vous vont devoir s’ajouter à l’emploi du temps des parents, en plus de toutes les tâches de la vie quotidienne. Malgré une multitude d’obligations, le conseil des parents interviewés est de s’octroyer le temps de prendre soin de soi et cela nécessite de trouver un équilibre dans son engagement de parents.

« Il faut faire attention à l’aspect de l’équilibre, c’est un parcours à faire qui est en oscillation. À un moment donné, tu as l’impression que ça va bien, et là, il arrive quelque chose. C’est épuisant, il faut se protéger en se laissant de la place pour se reposer. » (12-502-1)

La demande d’engagement des parents par les professionnels peut être difficile à porter en plus du reste des obligations familiales (Gaucher et Duchesne, 2015). Le surinvestissement guette souvent certaines familles qui sentent le besoin de s’impliquer au maximum pour le bien de l’enfant (Pelchat, 1994). La surimplication d’un des parents peut créer des conflits, il faut donc que ces sujets soient abordés au sein du couple pour réussir à instaurer un équilibre dans la vie familiale.

Faire étape par étape

L’harmonie du couple passe également par une bonne organisation au quotidien.  L’engagement des parents est essentiel, mais il est tout aussi primordial de ne pas se lancer tête baissée dans ce mandat de parents. Dans les entrevues, il est suggéré aux familles de faire les choses par étapes.

« On est mieux d’y aller un jour à la fois. De prévoir un peu les étapes, mais pas trop et d’essayer de vivre ça sereinement. Une étape à la fois parce qu’on ne peut pas tout gérer à la fois non plus. Il ne faut pas mettre les œufs dans le même panier, on a tous une vie et il faut essayer d’être équilibré dans la vie. » (12-103-1)

« Je leur dirais de prendre les choses une chose à la fois. Il y a des solutions. Et d’apprendre à connaître l’enfant. Chaque enfant est différent. » (12-303-1)

Les parents doivent consacrer énormément de temps et d’énergie pour la réadaptation de l’enfant sourd pensant être obligé de s’engager entièrement auprès de lui en tout temps (Dionne. C et al., 2006). Pour faire face aux différentes étapes, les parents doivent être vigilants afin que leur engagement ne devienne pas envahissant, en se fixant des limites (Gaucher et Duchesne, 2015).

Une bonne communication

Sans une complémentarité au sein du couple, la naissance d’un enfant ayant une surdité peut créer des frustrations et devenir source de tensions (Pelchat, 2009). D’après les familles rencontrées, la communication à l’intérieur du couple serait un outil essentiel, car cela permet aux conjoints de partager leurs opinions et leurs ressentis.

« C’est en communiquant qu’on arrive à se dire : « bien là on a fait le mieux qu’on pouvait au moment qu’on pouvait ». Faut avoir les pieds solidement ancrés pour dire c’est ça. » (12-402-2)

« Quand on a des enfants qui ont aucun handicap, on se perd un peu, j’avoue que ça prend une bonne communication entre nous. » (12-405-2)

Les réactions de chacun des parents du couple dépendent de leurs perceptions face à une situation, donc le ressenti des deux parents peut être différent et la communication permet à chacun de partager son point de vue.

Prendre du temps pour le couple

La vie de couple est souvent bouleversée par le fait d’avoir un enfant avec une surdité. Il peut arriver que des parents pensent que leur relation doit passer par l’enfant (Gaucher et Duchesne, 2015). Les personnes interviewées mettent en garde les parents sur le fait que l’enfant devient le seul lien entre eux.

« Dans les débuts, on se prenait souvent des gardiennes et on sortait. Maintenant, on le fait moins souvent parce que les enfants nous suivent partout, mais dans les premiers
temps c’était dur, ça en prenait des sorties, donc on sortait souvent. » (12-404-2)

« Faites attention à votre couple parce qu’on s’oublie dans tout ça et ça peut conduire là où ça nous a conduits, ma conjointe et moi. N’oubliez pas qu’à la base, (il faut) essayer de penser à vous de temps en temps parce qu’on veut tellement. Et je ne sais pas si c’est causé par le sentiment de culpabilité, qu’on ne se rend pas compte à quel point on est en train de décharger nos batteries et quand on s’en rend compte, on est au bout du rouleau et les conséquences sont plus graves. » (12-508-2)

L’arrivée et la présence de l’enfant ayant une incapacité auditive peut déstabiliser la dynamique conjugale (Pelchat, 2009). Il faut que ces nouvelles familles prennent conscience de l’importance de leur couple et qu’ils prennent le temps de l’entretenir pour être plus fort ensemble.

Rencontrer des familles

Beaucoup de parents d’enfant sourd n’ont aucune connaissance de la surdité. Lors de l’annonce, les parents sont donc sous le choc et découvrent un monde qui leur est inconnu. Afin d’acquérir des informations, les parents conseillent d’aller rencontrer des familles vivant la même situation.

« Rencontrer un autre parent qui est passé par là, je pense ça serait très soutenant, d’avoir quelqu’un qui comprend bien les choses quand on passe au travers de toutes les étapes. D’avoir aussi la possibilité de rencontrer des enfants qui ont réussi. C’est rassurant pour un parent, tu es moins dans le néant et puis tu es moins à te questionner par rapport à te faire du mal. » (12-108-1)

« Aller chercher de l’aide auprès des autres parents, ça je pense que c’est essentiel. Au moins une fois pour entendre dire quelqu’un “ah oui j’ai vécu la même chose”. Parce qu’au début on s’imagine être dans le désert, être les seuls à vivre ça. Mais finalement, il y en a un paquet qui le vivent, qui l’ont vécu et vont le vivre aussi. Et justement, l’AQEPA c’est le fun parce que c’est des générations qui tournent et toutes les fois il y a des anciens pour aider les plus jeunes et ça se déplace comme ça dans le temps. » (12-503-3)

Aller chercher des conseils et des expériences de parents qui vivent eux-mêmes avec un enfant ayant une surdité, favorise l’engagement de ces nouvelles familles, car ces rencontres leur donnent de l’espoir. Ils se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à traverser ces étapes.

Conclusion

Les comportements et les adaptations sont différents pour chacun des parents lors de l’annonce de la surdité de l’enfant, il est donc important d’en avoir conscience lors des interactions au sein du couple. En ce qui a trait à la répartition des tâches dans l’organisation familiale, elle doit être abordée pour permettre de garder un équilibre familial. Dans tous les cas, il devient important de maintenir un climat de communication sain dans le couple (Gaucher et Duchesne, 2015).

Enfin, des associations comme l’AQEPA répondent aux questions des familles et leur donnent la possibilité de rencontrer d’autres parents ayant vécu la même situation. Il n’existe pas de solution miracle, mais nous espérons que ces quelques conseils pourront aider les familles à trouver un équilibre.

Bibliographie

Dionne, C., Rousseau, N., Drouin, C., Vézina, C. et McKinnon, S. (2006). Expérience des familles dont un enfant présente une incapacité : perceptions et besoins actuels. Service social, 52(1), p. 65-77.
Dubuisson, C. & C. Grimard (2006) La surdité vue de près. Collection Santé et société, Québec : Les Presses de l’Université du Québec, 428 p.
Gaucher, C. et Duchesne, L. (2015). Votre enfant a une surdité ? Vous n’êtes pas seuls ! Imprimerie Irving, 123 p.
Jackson, C. W., & Turnbull, A. (2004). Impact of Deafness on Family Life. A Review of the Literature. Topics in Early Childhood Special Education, 24(1), 15-29.
Jutras, S., Dubuisson, C. et Lepage, G. (2005). Perceptions parentales sur le bien-être psychologique des enfants vivant avec des problèmes auditifs. Montréal : UQAM
Pelchat, D. (2009). Comment les pères et les mères réinventent-ils leur vie avec un enfant ayant une déficience ? Frontières, 22(1-2), 58-68.
Pelchat, D., Boudreault, P. et Lalonde-Graton, M. (1994). Déficiences, incapacités et handicaps : processus d’adaptation et qualité de vie de la famille. Montréal: Guérin universitaire 169 p

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