Vie quotidienne

Deux familles, deux réalités

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Extrait du numéro 218 de la revue Entendre « l’équilibre en famille »

Par Christianne Giard

Les témoignages sont toujours des moments très attendus par les parents durant la fin de semaine familiale. Cette année, Louise Duchesne, PhD, Professeure au département d’orthophonie à l’université du Québec à Trois-Rivières et Sarah Kirsch, étudiante en maîtrise à l’école de travail social à l’université de Moncton ont organisé cet atelier composé d’une famille ayant fait le choix d’une communication gestuelle pour leur enfant (Yves Blanchette et son fils Jérôme) et une autre famille ayant fait le choix d’une communication orale (Josée Rouleau et sa fille Patricia).

L’annonce de la surdité

Quelles ont été les circonstances de l’annonce du diagnostic de la surdité de votre enfant?

Josée: Alors que Patricia avait 2 ans et demi, j’ai fait des démarches pour faire évaluer son audition. J’ai eu un rendez-vous immédiatement, mais je devais me déplacer à Rouyn qui est à trois heures de route. L’audiologiste m’a confirmé que ses problèmes d’audition n’étaient pas causés par des otites à répétition mais par une surdité. Trois semaines plus tard, nous rencontrions l’audioprothésiste pour l’appareillage puis le centre de réadaptation. Elle avait de l’orthophonie quatre jours par semaine.

Yves: Il y a une différence de trente ans entre le dépistage de mon aînée et celui de mon dernier fils, donc une grande différence dans la façon de faire. Pour l’aînée, elle babillait puis s’est arrêtée; c’est mon père qui a remarqué qu’il y avait quelque chose d’anormal. Le médecin généraliste nous a dirigés vers Québec où nous avions rencontré une équipe dynamique; on a diagnostiqué une surdité profonde. Il y a eu des rencontres avec une orthophoniste et un psychologue. Le deuil s’est fait assez rapidement et nous nous sommes pris en main. Nous connaissions une autre famille qui avait un enfant présentant une surdité. Les autres jeunes de la famille ont tous passé un dépistage auditif. Jérôme a été dépisté beaucoup plus jeune; sa sœur avait 1 an, mais lui n’avait pas encore 2 mois. Il a fallu refaire tout le chemin. Il y a beaucoup de délais pour passer les étapes : les pédiatres disaient d’attendre, mais nous sommes allés directement en audiologie à Québec.

Avez-vous entrepris des démarches pour vous renseigner sur la surdité? Lesquelles?

Josée: C’est l’audiologiste qui m’a prêté des livres et donné les informations. Ensuite, c’est Benoît Bergeron, père de jumeaux sourds, qui est venu m’expliquer ce qu’est l’AQEPA et nous a parlé de la fin de semaine familiale.

Yves: À Québec, on m’a parlé de l’AQEPA et du lien avec d’autres parents. Comme parent, on veut connaître les options et on a besoin d’informations pour prendre les meilleures décisions pour la suite de la vie de son fils : on m’a parlé d’oralisme, de communication gestuelle et d’implant cochléaire. J’ai fait mes choix en fonction de la surdité profonde que présentait mon fils pour aller dans son monde, puis j’ai fait beaucoup de lecture, rencontré des personnes sourdes, des gens de la communauté sourde. Maintenant, Jérôme connaît beaucoup de monde et a plusieurs amis dans la communauté sourde et n’a donc pas besoin d’un implant. Avec Internet on trouve souvent des informations négatives, c’est ainsi que j’ai lu que le jeune ne parlerait jamais au téléphone, qu’il aurait du mal même avec une seule langue et qu’il ne lirait jamais. Les meilleures informations proviennent de l’AQEPA avec tous les services et les liens avec les autres parents de partout.

Pensez-vous que les services proposés en réadaptation ont été suffisants? Si non, pourquoi, quels sont les manques?

Yves: Tous les axes de la communication ont été pris en charge. Mais L’AQEPA joue aussi un rôle important.

Josée: Patricia a été la première enfant à présenter une surdité à Matagami. Trois semaines après son diagnostic, elle avait de l’orthophonie 4 jours par semaine au centre de réadaptation qui se trouvait à 2 heures de route. Avec sa prothèse auditive, elle était beaucoup plus fonctionnelle et apprenait très bien.

Le choix du mode de communication

Avec qui avez-vous discuté des modes de communication pour votre enfant? Quels moyens vous ont été proposés pour communiquer avec votre enfant? À quel moment?

Josée: Patricia avait un bon gain avec ses prothèses auditives. À 3 ans et demi, on a eu une rencontre avec le centre de réadaptation pour choisir le mode de communication; ce fut le français signé et le système FM. Au secondaire elle avait en plus le langage parlé complété (LPC) pour les discussions de groupe et l’anglais. Le français signé lui facilitait l’apprentissage du français. Patricia a dû faire d’autres choix de communication : au primaire elle avait une interprète en français signé et un système FM. En secondaire II, elle a changé d’interprète et elle a alors appris le LPC : elle ne voulait plus porter son système FM, puisqu’il y avait des interférences, du « grichage », elle entendait les radios des camionneurs… En secondaire V, elle a fini sans interprète ni système FM, mais avait une très bonne relation avec son professeur. Au Cégep, elle a eu une très bonne intégration avec une nouvelle interprète avec qui elle avait une très belle relation et utilisait le preneur de notes.

Yves: Jérôme avait des services adaptés. Trois parents ont essayé de me convaincre de choisir un implant cochléaire. Le centre de services scolaire avait choisi le français signé et le choix de la LSQ allait à l’encontre : Jérôme semblait incapable de bien parler. Il y avait une interprète qui venait à la maison pour lui fournir un bain de langage en LSQ. La coordonnatrice du centre de services scolaire ne la connaissait pas. Pourtant, c’est ce qui lui apportait du sens, au delà de la connaissance de la langue.

Auriez-vous fait un choix différent ?

Yves: Non, j’aurais fait le même choix malgré toute la nouvelle technologie, pour la socialisation que je voulais respecter. Jérôme a délaissé sa prothèse auditive disant qu’il entendait trop de bruit et qu’il pouvait comprendre sans elle.

Josée: Non, j’aurais aussi fait le même choix. Patricia a une surdité sévère à profonde et aurait pu avoir un implant cochléaire, mais on ne nous l’a proposé que lors de ses 17 ans; Patricia a refusé.

Avez-vous été mis devant un éventail de choix ?

Josée: Il y a eu des conférences téléphoniques avec le centre de réadaptation, l’audiologiste et l’orthophoniste pour nous proposer différentes options.

Yves: Il y a eu des rencontres avec des équipes multidisciplinaires; ils étaient gênés par mon choix, disant que ça ne marcherait pas. Jérôme a fait de la LSQ, du LPC, de l’oralisme. Il dit ne rien connaître en oralisme, parce que sa surdité est de modérée à sévère et il faisait des otites à répétition. À la maison, c’était de la LSQ et à l’école du LPC. Le LPC permet de différencier les mots par la visualisation des sons : il y a beaucoup de contenu mais pas de sens. La LSQ offre une meilleure compréhension du sens par l’utilisation de gestes plus concrets.

La dynamique familiale

Quelle est votre dynamique familiale? Comment la surdité a eu une influence dans votre famille?

Yves: Les influences ont été immenses parce que j’ai du changer d’emploi pour avoir plus de disponibilité et de flexibilité; c’est alors que j’ai commencé à travailler pour l’AQEPA. Les activités familiales étaient celles de l’AQEPA. Au niveau de la famille élargie, les gens ont suivi des cours de signes puis ont laissé tomber. Ils lui disent « bonjour » mais ont des problèmes de communication avec lui. En général, lors des réunions de famille, le frère et la sœur présentant une surdité se retrouvent ensemble, à part des autres, parce que dans ces réunions, on parle vite et on oublie de signer. Chez nous, on a sept enfants et on fait en sorte qu’il n’y ait personne d’isolé. C’est très accepté dans la famille, mais il faut adapter les jeux; par exemple, nous ne faisons pas de jeux questionnaires, mais des jeux visuels. Jérôme est très autonome, il se commande lui-même son menu et fait des choses par lui-même.

Jérôme: J’apprécie avoir une sœur sourde, c’est une chance d’avoir quelqu’un comme moi dans la famille, avec qui je peux jaser facilement.

Josée: Ce n’était pas facile aux mêmes étapes que tous les autres parents. Son père a pris beaucoup de temps à comprendre avant d’avoir un autre enfant, craignant encore la surdité. Puis, il y a eu une séparation. Pour ce qui est des activités familiales, son père refusait d’exposer Patricia au regard des autres, alors que moi je voulais qu’elle soit comme les autres. Elle a eu des appareils auditifs qui pouvaient aller dans l’eau, ce qui lui a donné la possibilité d’aller aux glissades d’eau comme les jeunes de son âge. Elle avait des appareils programmables à contrôle numérique pour l’école et gardait les autres pour des sports de contact ou des sorties en bateau.

Patricia: C’est un défi avec la famille élargie, à cause des difficultés de communication; je ne comprends pas tout, mais j’essaye de faire mon possible. Puisque je ne signe pas, les gens oublient que je présente une surdité, c’est moi qui dois faire les premiers pas.

Dans le système de santé, le système scolaire, l’AQEPA, comment améliorer ou aider la famille à vivre plus harmonieusement?

Yves: Il y a des intervenants qui agissent avec des objectifs, tout en prenant en compte le respect des rôles parentaux. Vous avez aussi des gens qui mettent de la pression sur les familles pour atteindre leurs objectifs. Il faut avoir le respect du parent comme étant un parent. Une bonne entente au niveau du couple est importante pour échanger de l’information parce qu’on ne peut pas toujours être présents à toutes les réunions. Les parents ont besoin de reconnaissance, puisqu’ils ne travaillent pas toujours et ont donc moins d’argent lors de leur retraite. Ils n’ont jamais de congés mobiles en banque. Il faut aussi une très bonne entente avec l’employeur. Il faut beaucoup de sacrifices et de renoncement.

Josée: On nous a apporté plein de choses et des équipes dynamiques qui nous ont bien soutenus. Le centre de santé est venu vers nous pour nous offrir la reconnaissance des personnes handicapées, pour l’intégration, pour nous aider à gérer la situation, pour mettre un plan d’action en place.

L’entrée à l’école et la fréquentation scolaire

Quel est le parcours, le cheminement scolaire, les défis pour les jeunes, pour les parents? Lors de l’entrée à l’école, quels sont les services, les démarches à faire?

Josée: Tout s’est bien passé; à partir de 3 ans et demi, elle parlait et a intégré l’école à 4 ans, à 2 jours par semaine pour s’habituer avec une interprète. Puis elle a fait une maternelle à temps plein. Le Centre de réadaptation est venu à l’école pour faire de la sensibilisation avec tout le monde en scolaire. Il y a même un professeur qui s’est rasé la barbe pour l’aider. En quatrième année, elle s’occupait elle-même de faire la sensibilisation. Lors des plans d’intervention, on faisait surtout des révisions et il n’y avait pas de bataille. Au Cégep, elle a été intégrée en maths fortes. Avec ses notes scolaires, elle pouvait choisir entre la radiologie ou la physiologie, mais a été refusée. Elle a choisi un parcours en technique d’éducation spécialisée et elle en est très contente. Ma fille était la seule sourde dans son école au primaire, mais au secondaire il y en a eu quelques autres. Le centre de services scolaire a souvent proposé une classe spéciale mais nous refusions. Pour les cours de conduite, elle a réussi avec une interprète, mais il a fallu aller à Rouyn à une heure de route.

Yves: Jérôme a intégré une école spéciale et non pas son école de quartier; il a fallu se battre pour avoir des services, pour l’intégrer dans l’école.

Jérôme: Les services étaient là, les gens comprenaient bien. Il a fallu sensibiliser tous les professeurs qui ne semblaient pas aimer la présence d’une interprète et tous les jeunes. Quand je voulais voir mes amis, mon père devait assumer le transport puisqu’ils n’étaient pas de mon quartier. Si j’étais malade, il devait venir me chercher. Une école normale était une école avec des classes et des services aux jeunes mais pas avec des jeunes ayant des difficultés telles que la dysphasie ou de l’autisme. Tous les jeunes sont dans des classes normales, avec des services spécialisés, intégrés dans une cohorte normale avec des professeurs.

Quels sont les plus grands défis pour les jeunes au primaire et au secondaire?

Jérôme:  Le plus difficile est la réussite; les notes sont un problème depuis la quatrième année; elles descendaient toujours. Il y avait un problème de communication car les gens faisaient semblant de comprendre. Au secondaire, il était difficile de se faire des amis car ils avaient peur de ne pas savoir comment faire, puisqu’ils ne connaissaient pas les sourds; alors moi j’ai essayé en secondaire I et II. Puis en secondaire III, après le changement d’école c’était plus facile puisqu’il y avait plus d’ouverture avec moi. Au secondaire III, ce qui était le plus difficile c’était la réussite; il fallait trouver des trucs. Je devais constamment m’adapter aux autres, si j’avais été dans mon école de quartier ça aurait été moins difficile.

Patricia: Au primaire, il y avait des professeurs qui étaient corrects et d’autres moins. J’ai eu mes premiers amis en 2 ou 3e année, mais j’en ai perdu car j’ai doublé ma 3e année par choix puisque mes notes étaient basses, pour passer plus facilement les autres années. De même au Cégep, dû à l’échec d’un stage causé par des préjugés sur la surdité. Au secondaire, j’étais dans un groupe normal pour le français, l’anglais et les maths; j’avais les même cours que les autres mais avec de l’aide supplémentaire. En secondaire III, j’ai aussi eu un professeur privé, trouvé par ma mère; j’avais droit à tous les services pour m’aider sans avoir à me battre. En secondaire V j’ai eu un ordinateur. Au Cégep, il fallait plus travailler en équipes à l’extérieur des cours. Ensuite j’ai eu droit à plein de programmes sur mon ordinateur et à un preneur de notes; tout allait super bien. J’ai apprécié les professeurs que j’ai eus car ils m’encourageaient.

Étiez-vous présents lors des plans d’intervention?

Jérôme: Oui, dès ma deuxième année. Mon père et le professeur discutaient pour que j’aie plus d’aide en français et en écriture. J’ai toujours eu une interprète. Les interprètes ont un rôle très important, par exemple, à 12 ans même l’interprète disait ce dont j’avais besoin et servait de cloison avec la cohorte. Le combat des plans d’intervention portait sur les devoirs à la maison pour compenser la différence, il fallait toujours tenir le temps maximum.

Patricia: Dès la 3e année, j’avais besoin de mon interprète et je voulais rester avec mon groupe sentant que je faisais partie de cette classe. J’ai fait un essai, à leur demande en allant à l’extérieur de la classe pour les examens.

Améliorations possibles

Au niveau du gouvernement, quelle serait l’amélioration à faire pour mieux soutenir les jeunes ?

Jérôme: Il faut que le jeune ait accès le plus tôt possible à tous les services et à toutes les techniques, pas seulement au secondaire et au Cégep. Qu’il ait automatiquement le choix avec la liste du matériel, pour avoir les bons outils de travail sans avoir à les demander.

Yves: Il faudrait que les gens qui interviennent auprès de nos enfants aient la possibilité de supporter les parents. C’est impensable qu’une orthophoniste, qui a 8 écoles à s’occuper, ait du temps à donner aux parents. Il ne faut pas faire de l’intégration à tout prix, mais utiliser le milieu spécialisé comme tremplin. Il faut des écoles où on décide d’intégrer le jeune, en le prenant et en développant et non pas en le moulant. On devrait pouvoir choisir des professeurs qui veulent travailler avec nos jeunes, qui sont plus souples, formés et contents d’être là. Il faudrait des interprètes pour que les jeunes puissent avoir leur permis de conduire, autant quand ils sont dans l’auto pour les pratiques que dans les cours théoriques.

Plénière

Dépistage

Plusieurs parents font des tests à la maison pour tenter de déceler une surdité, puis se battent pour avoir des réponses, pour passer des tests poussés. Il faut que ce soit fait plus tôt, sachant que le diagnostic prend plusieurs semaines.

Sur Internet, il y a trop de fausses informations, par contre l’AQEPA est une excellente source d’information.

Choix du mode de communication

Ce choix semble devoir se faire vite et sans nécessairement avoir toutes les informations et implications, alors qu’il détermine le futur de nos enfants.

Stratégies pour le monde scolaire et pour la famille

Ils ont besoin d’adaptation une fois le choix fait, mais il y a constamment d’autres choix à faire. Quelques soient les choix, il y a des obstacles mais aussi des progrès.

Demande

Il faut rencontrer le Ministère de la Santé pour les informer de ce que les parents veulent pour leurs jeunes.

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