Vivre avec la surdité

L’approche bilingue français-LSQ

top_approche_francais_lsq

Marie-Pierre Viel, Conseillère pédagogique, approche bilingue LSQ/français, Écoles Gadbois et Lucien-Pagé
Hélène Boulanger, Orthophoniste, Secteur des Sourds, École secondaire Lucien-Pagé

Comment enseigner le français écrit lorsqu’un enfant présente une surdité, puisque l’apprentissage d’une langue écrite se fait principalement par l’association de phonèmes et de graphèmes ?

C’est le défi que relèvent quotidiennement les enseignants d’enfants ayant une déficience auditive.

À l’école primaire Gadbois et l’école secondaire Lucien-Pagé de la CSDM, les élèves sourds utilisant la langue des signes québécoise (LSQ) bénéficient d’un enseignement bilingue LSQ/français. Le Ministère de l’Éducation a reconnu officiellement ce modèle d’enseignement en 2005, après plusieurs années d’expérimentation avec l’équipe de recherche composée essentiellement de membres du Groupe de recherche sur la LSQ et sur le bilinguisme sourd de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), d’orthophonistes de l’Institut Raymond-Dewar, de représentants du milieu associatif dont l’AQEPA et bien sûr de membres du personnel de l’École Gadbois.

Le bilinguisme sourd se caractérise d’abord par une modalité différente des deux langues : la LSQ, langue première de l’élève sourd, et le français, langue d’apprentissage à l’école. En effet, la LSQ est perçue par la vue et s’exprime par des signes. Le français, quant à lui, est perçu par l’audition et s’exprime par la voix, en mots. Parce que la personne sourde a un accès limité de l’entrée auditive des sons de la parole, l’acquisition du français écrit devient un défi de taille pour toute personne sourde. L’approche bilingue propose de bâtir l’apprentissage du français écrit chez l’élève sourd signeur en se basant sur les connaissances linguistiques de leur langue première, la LSQ.

Mais qu’est-ce qu’une langue première ?

Chez l’enfant entendant, une langue première est généralement acquise en bas âge de façon naturelle, sans enseignement explicite ou organisé, c’est-à-dire au simple contact de la langue utilisée avec l’enfant et autour de l’enfant. De tout ce qu’il entend autour de lui au cours des premières années, l’enfant acquiert une connaissance intuitive des règles qui régissent sa langue. Il construit sa grammaire, il intériorise le système de règles.

Pourquoi l’enfant sourd n’acquiert-il pas le français comme langue première ?

Pour développer une langue première, il faut que la langue soit entièrement accessible. Or, pour un enfant sourd, l’acquisition d’une langue orale comme langue première peut être problématique puisque la discrimination des sons du langage est cruciale et que le français ne lui est pas entièrement accessible. Dans ce cas, une langue signée, donc entièrement accessible, correspond aux conditions d’acquisition d’une langue première et son apprentissage se fera de façon naturelle si l’enfant est exposé à des modèles signeurs.

Comment l’approche bilingue s’actualise-t-elle en classe ?

En classe, ce modèle d’enseignement s’actualise par la présence de deux intervenants, chacun responsable de l’enseignement d’une langue.

L’intervenant sourd est responsable d’expliciter les règles qui régissent la LSQ pour que l’enseignant puisse faire le lien avec les règles du français écrit. Il est capital que les deux langues soient distinctes pour pouvoir ensuite y associer les caractéristiques propres à chacune d’elle.

Les deux langues sont présentes tout au long de l’enseignement. Pour l’apprentissage du français, l’enfant utilisera ses connaissances de la LSQ. L’utilisation du français augmente progressivement, l’écrit deviendra de plus en plus présent en classe. L’utilisation des deux langues dépend ensuite de la situation de communication.

L’enseignant se doit de suivre le programme de formation de l’école québécoise qui s’applique à tous les élèves du Québec. Que ce soit en évaluation de la lecture, de l’écriture ou de la compétence orale, l’élève sourd démontrera ses compétences en français en se basant sur ses compétences d’analyse de sa langue première, la LSQ. Le formateur sourd en classe doit soutenir l’apprentissage du français en amenant les élèves sourds à faire des liens avec la LSQ.

Par exemple, lors de l’enseignement du pronom en français, le formateur sourd pourrait expliquer comment se forme le pronom en LSQ, quelles sont les caractéristiques identiques au français et les caractéristiques qui le distingue du français. Le formateur sourd est également responsable d’accompagner la classe lors de tâches de lecture afin de vérifier la compréhension générale de la lecture et aider le jeune sourd à en faire une analyse juste, au-delà du décodage des mots. L’élève doit voir la lecture comme un tout porteur de sens.

Comment envisage-t-on l’avenir de l’enseignement du français aux Sourds signeurs ?

Au fil des ans, l’approche bilingue a démontré du succès auprès des élèves sourds signeurs. Malgré tout, l’apprentissage du français demeure un défi et nous croyons qu’il est important que la recherche se poursuive. On se doit de tenir compte des avancées faites au niveau du style d’apprentissage des élèves sourds et des méthodes pédagogiques gagnantes auprès de cette clientèle.

L’approche bilingue doit s’arrimer avec les réformes pédagogiques et les nouvelles technologies. La différenciation pédagogique en classe permettant aux enseignants d’adapter leurs méthodes aux besoins de leurs élèves est à exploiter. Les écoles doivent aussi mettre en place des mesures d’adaptation permises par la sanction des études du Ministère de l’Éducation, telle que l’interprétation en LSQ des questions d’examens sous forme de capsules vidéo.

Enfin, est-ce que l’amélioration du programme d’enseignement aux Sourds passerait par la reconnaissance de leur langue première, la LSQ, comme langue d’enseignement et éventuellement langue officielle du Canada?

Aller au contenu principal