Vie scolaire

Apprendre une seconde langue

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Extrait du numéro 185 de la revue Entendre :  Apprentissage d’une langue seconde

Nicole De Rouin

La surdité est un obstacle

Il y a une dizaine d’années (déjà ?!), lorsque je fondais en larmes à l’idée de devoir choisir entre l’anglais et le français parce que je trouvais que peu importe la décision que je prenais, je fermais des portes à mes fils, une audiologiste m’a dit une phrase très simple : « Ce n’est pas toi qui fermes les portes, Nicole ; c’est la surdité ».

Et j’ai compris. J’ai compris que si la surdité est un obstacle, c’est à nous, comme parents, de tout faire pour ouvrir les portes à nos enfants, pour les aider à en ouvrir eux-mêmes, et ce, même s’ils ne réussissent parfois qu’à y entrer un pied. Les portes, il faut les déverrouiller, les défoncer, au moins y poser une chatière !

Entre anglais et français

La surdité de notre fils aîné, Zacharie, a été diagnostiquée lorsqu’il avait trois ans, et un vocabulaire d’environ cinq mots. À ce moment-là, nous parlions anglais à la maison et il fréquentait une garderie française – un beau plan, mais raté, disions-nous ! Or, suivant le courant à l’époque, nous nous sommes concentrés sur une langue, optant pour l’anglais. Je vous fais grâce de l’analyse laborieuse qui a mené à ce choix, mais disons simplement que dans notre univers à nous, cela lui ouvrait plus de portes.

Dix-huit mois plus tard, nous apprenons la surdité de notre plus jeune, Noah. Appareillé à l’âge d’un an, il n’a pas mis beaucoup de temps à rattraper son retard de langage. Nous avons donc tenté l’aventure, et Noah a fréquenté une garderie familiale, en français, à temps partiel. Nos attentes étaient modestes, mais notre expérience a porté fruit ; à quatre ans, Noah communiquait adéquatement avec ses copains en français et ce, sans préjudice pour son anglais.

Intégration à l’école

Par contre, lorsque nos fils ont intégré leur école de quartier à la maternelle, le français devenait plus qu’une petite expérience menée par des parents obstinés. À l’école anglaise, les élèves bénéficient de (ou subissent, selon la perspective) plus d’une heure par jour d’instruction dans leur langue seconde et ce, dès la maternelle. Malgré cela, nous n’avons pas songé à demander une exemption. D’abord, qu’est-ce qu’ils auraient fait pendant tout ce temps-là ?

D’autre part, nous avons compris que même si l’école pouvait accorder une exemption, la vraie vie, elle, n’en accorde pas. Nos enfants ne peuvent échapper aux exigences du milieu qui les entoure, c’est-à-dire un milieu francophone. Et vos enfants n’échapperont pas à l’océan d’anglais qui nous entoure. N’auront-ils pas un jour envie de naviguer sur des sites Internet anglophones, de voyager un peu, de travailler dans un domaine où il y aura des contacts avec des gens de l’extérieur. Nous ne savons pas ce que l’avenir leur réserve. Aussi bien nous assurer que leurs valises soient bien faites pour le voyage.

L’exigence du primaire

Je vous avoue que ce n’est pas toujours facile pour nos fils. À leur école primaire (anglaise), les exigences sont élevées parce que la majorité des enfants sont francophones et l’école a choisi d’enseigner un programme de français langue maternelle. Mais ils se débrouillent, nos garçons, et sont capables de lire le journal local (du moins les statistiques du hockey !) et d’échanger quelques mots avec leurs voisins et amis.

Au secondaire, les exigences sont plus élevées ? Et alors ? Il me semble qu’il vaut mieux finir avec un bulletin qui montre qu’on a dû se reprendre à trois reprises pour réussir, ou même qu’on a essayé, mais échoué, qu’un bulletin qui montre qu’on n’a même pas tenté. Une porte entrouverte est mieux qu’une porte pas ouverte du tout.

Sachez que parfois nos enfants nous surprennent ; parfois ils dépassent même les espoirs les plus fous de leurs parents. Porteur d’un implant cochléaire depuis l’âge de 5 ans, Zacharie, après avoir passé son primaire à l’école anglaise, fréquente maintenant une polyvalente française, et bien que le basket-ball soit son principal centre d’intérêt (et c’est peu dire !), il s’en tire quand même dans les matières scolaires.

L’aventure continue !

La surdité est certes un obstacle, mais ne faisons pas d’elle une excuse. N’apprenons pas à nos enfants à baisser les bras dès qu’un défi se présente. Une demi-heure ou deux d’anglais par semaine n’est pas beaucoup et les mots qu’ils retiendront seront une richesse, une corde de plus à leur arc. Ils ne deviendront jamais bilingues avec ça, mais laissons-leur la chance d’essayer au moins. Plus que ça, essayons de leur inculquer une soif d’apprendre et d’élargir leurs horizons. Surtout, donnons-leur l’aide qu’il faut pour réussir.

À vrai dire, il s’agit de trop peu, trop tard. Ce qu’il nous faut, et j’espère que l’Institut national de la santé publique du Québec lira ces lignes, c’est un programme universel de dépistage de la surdité à la naissance pour que nos enfants vivant avec une surdité puissent être diagnostiqués et appareillés le plus tôt possible et avoir accès aux mêmes avantages que les enfants entendants.

C’est au cours des premiers mois de leurs vies que les enfants ont la capacité d’entendre les sons de toutes les langues. C’est donc dès la naissance qu’ils devraient être exposés à toutes les langues que nous souhaitons leur apprendre. Avec les technologies qui sont maintenant à notre disposition, il est impardonnable que nos enfants vivant avec une surdité ne puissent bénéficier des mêmes occasions éducatives que les enfants entendants. De quel droit ferme-t-on des portes à nos enfants ?

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