Vie scolaire

Histoire d’intimidation

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Extrait du numéro 202 de la revue Entendre : Moqueries, taxage et autres formes d’intimidation…

Alexandra Gagné-Dubois

En maternelle et première année

J’étais à l’école Brébeuf, tout allait super bien. Je n’avais que des amis dans toute la classe. C’était le bonheur total. Une enfance NORMALE. J’ai changé d’école en 2e année par manque d’interprète, j’ai alors rejoint une autre malentendante qui est ma bonne amie à l’école Hélène-Boullé (école d’un secteur ayant beaucoup d’argent ou de grosses maisons).

L’intimidation a commencé là. Ce n’était pas juste un élève qui m’intimidait, mais bien toute ma classe. Comme on dit souvent, une « gang de populaires ». Ils ont commencé à me traiter de toutes sortes de noms. On me traitait de tortue, déficiente mentale, on disait que j’étais stupide. C’était juste des noms méchants. La directrice essayait de régler ce problème, mais rien ne se réglait. Je ne les écoutais pas, j’avais une bonne amie dans ce temps-là, alors je ne m’en faisais pas trop. Mes parents n’avaient aucun pouvoir. Ils avaient de la misère à m’aider, par contre ils étaient là pour moi. J’ai attendu impatiemment d’être rendue au secondaire : la chance de m’en sortir et de changer de vie.

Arrivée en secondaire 1

près l’attente tant espérée d’une meilleure vie sans intimidation, l’intimidation s’est amplifiée ! C’était une tout autre histoire. Je m’étais inscrite en basket-ball, les membres de mon équipe étaient gentils avec moi, mais ce n’étaient pas vraiment des amis. Au basket-ball, je pouvais évacuer la frustration que j’avais accumulée au primaire, c’est pour ça que j’étais bonne en position attaque. Le sport est un très bon moyen d’évacuation de frustration et aussi de faire quelque chose dans laquelle on est bien.

Durant de longues journées, on me lançait des pommes, de la pizza, on me traitait de stupide, d’attardée qui comprend pas vite, d’épaisse, ainsi de suite. Je peux en énumérer tout plein, mais ça n’en vaut pas la peine. J’avais même arrêté de manger, (je jetais mes lunchs dans la poubelle). Je ne mangeais plus, sauf un souper par soir parce que mes parents étaient là. La direction a essayé de régler ce problème d’intimidation, mais les problèmes empiraient de jour en jour ; donc, j’ai arrêté de me plaindre à la direction. Celle-ci a alors cru que c’était réglé. Fin du secondaire 1, durant l’été, j’ai commencé à faire de la mutilation, à connaître l’alcool, la drogue… Je m’étais embarquée dans ce tourbillon noir. J’étais partie dans un autre monde.

Au secondaire 2

Quand l’été a pris fin, j’étais rendue en secondaire 2. Là, tout a changé, j’ai commencé à attaquer tout le monde, même ceux qui me respectaient. Je m’étais forgée un gros caractère et très rebelle ! J’étais extrêmement agressive et violente. J’étais sensible à n’importe quel propos, même des phrases qui étaient correctes. Parfois les gens, dont mes parents, ne prenaient pas le temps de me répéter ce que je n’avais pas compris ou ils me faisaient sentir leur frustration.

Les professeurs avaient de la misère à me côtoyer, mais ils comprenaient tout ce que je vivais, donc ils n’osaient pas me donner des retenues parce que je n’avais pas fait mes devoirs. Un professeur a vraiment voulu beaucoup m’aider, il m’affrontait pour me remettre en place, mais ce n’était pas le meilleur moyen à utiliser. Ça m’a fait réagir encore plus ! D’un autre côté, je ne m’entendais plus avec mes parents. Ils ne me tenaient plus la main. Je m’étais éloignée de tout le monde. Je me tenais avec des personnes de l’extérieur de l’école. J’avais une colère tellement immense que pour me conforter, me sentir importante, avoir de l’attention, j’ai fréquenté plusieurs gars.

Dans ces moments-là, je ne me sentais pas stupide, on me prenait pour quelqu’un NORMAL. Parfois les parents exagèrent un peu trop avec les enfants sourds (Articulation). Mon moral était très bas, je ne voyais que du négatif, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas de positif nulle part ce qui m’a amenée à faire des tentatives de suicide à plusieurs reprises, mais cela a toujours été un échec. À la fin de l’année du secondaire 2, je me battais même avec des filles de secondaire 1 et 2 à l’école, juste parce qu’elles m’attaquaient ou qu’elles voulaient me tester.

Rendue en secondaire 3

J’ai changé d’école et j’ai déménagé. L’environnement de l’école était meilleur parce qu’il n’y avait que des élèves de secondaire 3, 4 et 5. La maturité était là, par contre plusieurs ne m’aimaient pas, mais ils n’osaient pas m’attaquer parce qu’ils ont entendu de quoi j’étais capable. J’ai tout arrêté, la drogue et l’alcool, parce que j’avais commencé à faire de l’angoisse. Je faisais des crises d’angoisse, j’étais toujours stressée et je paniquais sur tout.

J’avais déménagé à la campagne, aucun autobus ne passait là. Je n’avais plus de contact avec le monde de ma ville natale. J’étais seule ; donc ça m’a poussée à fendre le bois et le corder sur le terrain et à passer des soirées seule ou avec mon ancien beau-père qui était dans la police. Il fallait que je me tienne droite. Je ne pouvais pas inviter n’importe qui et je ne pouvais pas sortir. Si je n’étais pas déménagée à la campagne, si ma mère n’avait pas connu mon ancien beau-père et si je n’avais pas changé d’école, je n’aurais pas été là, parmi le monde des vivants. Cela m’a beaucoup aidée dans mon cheminement d’avoir, à ce moment-là, des parents présents qui appliquaient leur autorité.

En secondaire 3, j’ai connu de nouvelles amies, ma frustration a diminué. Vu que je n’avais pas les moyens de voir mes amies, ça m’a poussée à passer du temps seule et à réaliser beaucoup de choses sur ma vie, sur le vécu et ce que j’étais et à apprécier les moments seule, même les emmerdants. Je pense davantage de façon positive.

En secondaire 4 et 5

Cela a été plus tranquille, je refaisais un peu ma vie. En sortant du secondaire, plus personne ne m’écœurait, plus personne ne pouvait me juger. Je ne fréquentais que des bons amis. Cela m’a beaucoup soutenue.

De l’aide, je n’en ai jamais trouvé nulle part. Le seul moyen était de me forger une carapace impossible à casser. J’ai tout essayé, psychologue, direction, mes parents, ainsi de suite et rien n’a réglé les problèmes d’intimidation, même que parfois cela l’amplifiait, sauf une seule fois, la direction avait renvoyé un élève qui avait le pouvoir de contrôler tout le monde pour qu’ils m’intimident et, après, l’intimidation a diminué.

Ma vie présentement

Je suis une passionnée, une mordue à 120 % de l’automobile et j’adore le public malgré ce que j’ai vécu, mais j’ai compris que ça prend des gens comme ça et des obstacles pour avancer dans la vie.

Après le secondaire, seul le temps m’a apporté la guérison de mon passé. Présentement, malgré un vécu lourd, je ris tout le temps même si les choses sont niaiseuses et pas drôles. Ha-ha-ha ! Je ne vois plus tout en négatif, même pas la mauvaise température, par contre, il y a encore de rares journées où je suis déprimée, comme cela arrive à tout le monde. Je repense à ce que j’ai vécu et cela me pousse à aller encore plus loin.

Il y a un an, j’ai fait sept mois de formation en mécanique automobile. Il y a eu trop de complications avec les autres. J’ai changé d’école, je suis allée au DEP (Diplôme d’études professionnelles) en Vente Mécanique Automobile et j’ai tout juste terminé le 25 mars 2011. Je suis aussi une modèle pour les événements « automobiles » ou représentante pour des compagnies automobiles. Rien ne m’arrête ! Je travaille à d’autres projets, encore plus gros, mais je ne peux rien en dire pour l’instant.

Mon but, c’est devenir animatrice et chroniqueuse automobile à la télévision, montrer aux gens que les femmes ont leur place dans le domaine de l’automobile et qu’aussi malgré la limitation fonctionnelle, il y a la volonté de réussir. Ma surdité, les gens ne la remarquent pas parce que j’ai eu la chance d’avoir un implant cochléaire à l’âge de 3 ans et que j’ai travaillé avec acharnement pour pouvoir bien parler et entendre. (J’ai été la première candidate expérimentale au Québec à me faire opérer si jeune.) Dans le temps, la chirurgie de l’implant se faisait vers l’âge de 10-14 ans. Le docteur Ferron, spécialiste en la matière, voulait essayer sur un enfant plus jeune et mon père préférait que je l’aie jeune. Cela a permis aux docteurs d’être maintenant en mesure d’implanter des enfants qui n’ont que 6 mois, ce qui donne des résultats incroyables !

Un conseil que je propose, c’est de sélectionner une bonne école avec un bon environnement ! Pas une école où des personnes bien nanties occupent une section de son territoire. Si j’étais restée à Brébeuf pour le reste du primaire ma vie aurait été différente. Il est aussi important de ne pas faire ressentir la frustration envers l’enfant qui demande de répéter. Des activités amusantes en famille ou avec des ami(e)s ayant un respect à 110 % montrent au jeune que les élèves du primaire et secondaire ne sont pas stupides.

Message de ma part

Je suis très fière d’avoir vécu cela parce que ça m’a permis de me rendre plus forte que jamais je ne l’aurais cru. Plus rien ne m’affecte maintenant. J’ai acquis plus de maturité que mes parents ou quiconque qui a mon âge. Je fonce vers l’avant dans n’importe quel domaine. Aussi, ça m’a permis de travailler plus fort pour améliorer ma parole et mon côté auditif. Je peux parler au téléphone, écouter la télévision sans sous-titres et parler avec des ami(e)s dans un restaurant.

Ceux qui se moquent encore de moi à cause de ma surdité, je les laisse faire, le public s’en chargera. Ces personnes-là vont rapidement avoir honte. Aux gens à qui je demande de répéter et qui réagissent négativement, je leur dis que je suis malentendante. Ils se sentent tous tellement mal que leurs expressions faciales me font rire.
CE N’EST PAS MON PROBLÈME !

Je n’ai qu’une seule vie et je veux la réussir ! 😉

J’ai oublié un petit détail : je n’ai jamais été aussi proche de ma mère depuis ma naissance.

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